Un jour de repos. Joanna n’avait pas eu pire idée depuis qu’elle avait essayé de défendre son cas, et d’argumenter sur la légitimité de sa reprise du boulot auprès de sa petite amie. Évidemment, ça s’était soldé par une énième dispute, comme personne n’en doute. Depuis ce jour-là, elle avait enchaîné les services à l’Opal Bar, se tuant à la tâche pour éviter de créer davantage de tensions. Cela faisait donc un peu plus de deux semaines que Lukas et elle n’avaient pas eu de vraie conversation, se croisant à peine à l’appartement. Et plus le temps passait, plus l’italienne se sentait partir, déraper. Anne était de plus en plus présente dans son esprit, ses humeurs, et sa vie. Elle qui ne consommait que du vieux Whisky, se retrouvait à enfiler des litres de Rhum bon marché. Et à chaque gorgée supplémentaire, elle se détestait un peu plus, prise au piège dans ce corps, avec cette autre identité qu’elle méprisait. C’était une bataille sans précédent qui faisait rage, la plus difficile qu’elle ait connue de toute sa vie, et clairement, elle perdait.

Elle avait passé une partie de l’après-midi, ainsi qu’une bonne parie de la soirée, dehors. Se traînant de bar en bar, elle avait perdu conscience du temps qui passait. Et non, ce n’étaient pas les bars du vieux quartier, voisins de l’Opal Bar, et qui avaient une fréquentation recommandable, non. Elle s’était aventurée au fin fond du quartier ouest, là où personne ne la connaissait ou presque. C’était le seul moyen qu’elle avait trouvé pour laisser Anne s’exprimer librement, sans avoir besoin de la contrôler, la brider. Il fallait dire que la clientèle de ces bars s’y prêtait également. Elle n’aurait pas été surprise de voir traîner quelques couteaux ou autres armes à feu dans les poches voisines. Et c’est sans grand étonnement que, lorsqu’une bagarre générale éclata, elle entra dans la mêlée, ravie de pouvoir distribuer quelques coups. Elle en reçut aussi, comme en témoignaient les quelques bleus dispersés sur son corps. Mais ce qui la mit réellement en rogne, c’est ce type qui sortit un couteau, justement, espérant pouvoir profiter de sa taille et son statut de femme pour l’agresser. Malheureusement pour lui, elle avait la rage d’Anne, et l’entraînement de Joanna. C’est donc sans problème qu’elle le désarma, en profitant même pour s’emparer du couteau à cran d'arrêt qu’elle glissa dans sa poche. Lorsqu’elle sortit finalement du bar, en plus de ses bleus, elle portait un magnifique coquard à l’œil gauche. Anne était extatique, Joanna, mortifiée par la honte.

Pendant quelques instants, elle hésita à rentrer au voilier plutôt qu’à l’appartement. Les choses ne se passaient pas très bien avec Alexandra ces derniers temps, mais pourtant, elle n’avait jamais, même pas pensé, à y retourner. Ce soir-là pourtant, elle eut un moment d’hésitation - ce qui était déjà trop, pour être honnête. Mais elle finit par chasser cette pensée de son esprit, se disant que de toute façon, sa petite amie n’était pas là et qu’elle ne rentrerait pas avant plusieurs heures. Ça lui laissait largement le temps de dé-saouler, et de trouver une excuse à son état lamentable. Concluant que c’était la meilleure solution, elle se dirigea vers l’appartement.

Arrivée sur place, elle tourna la clé dans la serrure, ouvrit la porte, et fronça les sourcils en voyant la lumière du salon allumée. Avait-elle oublié d’éteindre en partant ? Elle referma la porte derrière elle, ne faisant pas trop attention à sa discrétion - elle était seule de toute façon, non ? Non. Elle tomba sur Alexandra qui était assise, et l’attendait visiblement.

« Qu’est-ce que tu fais là ? » demanda-t-elle d’une voix rauque, l’haleine puant l’alcool.

Il était possible qu’elle ait glissé l’information de son jour de repos à la brune, au détour d’un café avalé à la va-vite. Mais elle ne se doutait pas un instant que sa petite amie en aurait profité pour en prendre un également... Si c’était bien de cela qu’il s’agissait.